L’Ukraine déconcertée
par la volte-face de Trump
Le désengagement américain ouvre la voie à une instabilité mondiale
Par Irwin Rapoport
21 février 2025
Les États-Unis ont endossé le rôle de leader mondial suite à l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 1939 et l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l’ajout de l’arme atomique à leur arsenal et l’émergence de la Guerre froide, les États-Unis sont devenus les « gendarmes du monde ». Avec leurs alliés, ils ont façonné un nouvel ordre international fondé sur des institutions clés comme l’Organisation des Nations Unies, les accords de Bretton Woods, et la création de l’OTAN et d’autres alliances militaires régionales. Les Américains ont également lancé et financé le Plan Marshall, un programme ambitieux qui a permis la reconstruction de l’Europe occidentale dévastée par la guerre, un exploit monumental aux retombées durables.
Forts de cette puissance considérable, les États-Unis ont à juste titre revendiqué de nombreuses actions positives et généreuses. Parallèlement, ils ont aussi été à l’origine de désastres aux conséquences dramatiques, coûtant la vie à des millions de personnes. On peut citer la guerre du Vietnam, l’invasion de l’Irak en 2003, ainsi que le soutien à des régimes dictatoriaux et l’ingérence dans des gouvernements démocratiques, notamment en Iran, au Chili et au Guatemala.
Le président Donald Trump semble emprunter la voie de Neville Chamberlain en cherchant à résoudre l’invasion russe de l’Ukraine.
Aujourd’hui cependant, le président Donald Trump semble emprunter la voie de Neville Chamberlain en cherchant à résoudre l’invasion russe de l’Ukraine par un accord rappelant celui qui avait mené au démantèlement et à la disparition de la Tchécoslovaquie en 1939.
Les accords de Munich, signés le 30 septembre 1938 entre Adolf Hitler, Benito Mussolini, Neville Chamberlain et Édouard Daladier, ont cédé à l’Allemagne nazie la région des Sudètes, une partie stratégique de la Tchécoslovaquie. Le gouvernement tchèque, écarté des négociations sur l’insistance d’Hitler, n’a pu que constater l’acquiescement des puissances occidentales. Les garanties de sécurité promises se sont révélées illusoires, la Seconde Guerre mondiale éclatant moins d’un an plus tard. La « paix pour notre temps » promise par Chamberlain n’a jamais vu le jour.
Dans son second discours d’investiture du 20 janvier, Trump a réaffirmé sa volonté de mener une politique étrangère axée sur le principe de la théorie populiste America First (en français : l’Amérique d’abord). Durant sa campagne, il s’est engagé à mettre un terme au conflit ukrainien dès son premier jour à la Maison-Blanche.
Depuis, Trump a multiplié les entretiens avec Vladimir Poutine, l’instigateur du conflit, sans consulter le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy. Ce dernier n’a pas été convié aux pourparlers de paix du 18 février en Arabie saoudite, menés par le secrétaire d’État américain Marco Rubio et son homologue russe. En réaction, Zelenskyy a annulé sa venue en Arabie saoudite le 19 février, rappelant fermement que l’Ukraine n’accepterait aucun accord sans son aval.
Les représentants de l’Union européenne ont également été tenus à l’écart des discussions. Néanmoins, Trump a sollicité le déploiement de troupes issues d’une coalition de pays de l’Union européenne en Ukraine pour garantir l’application d’un éventuel traité de paix.
‘Zelenskyy a annulé sa venue en Arabie saoudite le 19 février, rappelant fermement que l’Ukraine n’accepterait aucun accord sans son aval.’
L’histoire semble se répéter, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour l’Ukraine et sa population déjà meurtrie. Trump s’est révélé être un allié peu fiable, donnant l’impression d’agir comme un instrument au service de Poutine. Cette situation est aussi choquante qu’alarmante.
Les récentes déclarations de Trump sont stupéfiantes : il accuse l’Ukraine d’avoir déclenché le conflit et n’hésite pas à qualifier Zelenskyy de dictateur. Un article récent d’Euro News, intitulé Trump qualifie Zelenskyy de dictateur, remettant en question l’avenir de l’Ukraine, apporte un éclairage sur la situation : La tension entre le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy et son homologue américain Donald Trump a atteint un nouveau sommet mercredi, lorsque ce dernier a qualifié le dirigeant ukrainien de dictateur. Sur son réseau social Truth Social, Trump a déclaré : « J’aime l’Ukraine, mais Zelenskyy a fait un travail désastreux, son pays est en ruines, et des millions de personnes sont mortes inutilement ». Il a ajouté, menaçant : « Zelenskyy ferait mieux d’agir rapidement, sinon il n’aura bientôt plus de pays ».
Ces propos acerbes de Trump font suite à une déclaration de Zelenskyy, qui accusait le président américain de vivre dans « l’espace de désinformation » créé par la Russie. Trump a en effet remis en question la légitimité de Zelenskyy en tant que président, arguant de l’absence d’élections en Ukraine. Il faut noter que l’Ukraine devait organiser une élection présidentielle en mars ou avril 2024, à la fin du premier mandat de cinq ans de Zelenskyy. Cependant, le scrutin a été reporté, la constitution ukrainienne interdisant la tenue d’élections sous le régime de la loi martiale, instaurée le 24 février 2022, jour de l’invasion russe à grande échelle.
‘Les États-Unis ont été vivement critiqués pour avoir dévoilé leurs points de négociation avant le début des pourparlers de paix’
Le Kremlin a tenté à maintes reprises d’exploiter le report des élections pour dépeindre Zelenskyy comme illégitime, une allégation fermement rejetée par Kiev qui y voit une interprétation fallacieuse de sa constitution.
La divulgation prématurée des points de négociation américains avant les pourparlers de paix a suscité de vives critiques. Ces points ont été révélés par le secrétaire à la Défense Pete Hegseth lors de sa récente visite en Europe. Keith Kellogg, l’envoyé spécial de Trump pour l’Ukraine et la Russie, a détaillé les concessions attendues de l’Ukraine pour mettre un terme au conflit. « Des concessions territoriales sont, à mon sens, inévitables », a-t-il affirmé. Il a également évoqué la possibilité d’un « engagement à ne plus recourir à la force et une réduction des effectifs militaires ». Kellogg a par ailleurs souligné que les États-Unis ne « toléreraient plus une relation asymétrique » avec leurs alliés, exhortant les membres de l’OTAN à accroître considérablement leurs dépenses de défense.
Hegseth a, quant à lui, qualifié d’« irréaliste » l’espoir de voir l’Ukraine retrouver ses frontières d’avant 2014 et a relativisé les chances d’une adhésion ukrainienne à l’OTAN.
Depuis son premier mandat, Trump n’a cessé de fustiger l’alliance atlantique, exigeant de ses membres qu’ils augmentent leurs dépenses militaires et menaçant de ne pas les défendre en cas de manquement. Cette rhétorique s’est encore durcie depuis sa réélection, et les récentes déclarations des officiels américains à la Conférence sur la sécurité de Munich pourraient bien sonner le glas de l’alliance.
Lors d’une émission de MSNBC consacrée à la politique étrangère, où l’on discutait des accusations de Trump envers l’Ukraine concernant l’invasion russe, le général à la retraite Barry McCaffrey a déclaré que l’OTAN était « finie ». Convaincu qu’un conflit est inéluctable, McCaffrey a ajouté : « Je crains que le mal ne soit fait, et ce de manière irréversible. Les puissances européennes n’ont plus aucune raison valable de croire en l’engagement des États-Unis envers l’OTAN et l’Article Cinq. »
‘Si les États-Unis se retirent de l’OTAN, leur parole perdra toute crédibilité et je prévois un chaos où les pays belliqueux et agressifs seront libres de terroriser et d’envahir leurs voisins sans contrainte.’
L’OTAN demeure un pilier essentiel de la sécurité mondiale. Son affaiblissement menacerait gravement le concept de sécurité collective et le partage du renseignement, tout en fragilisant les relations diplomatiques et économiques internationales. Un retrait américain de l’OTAN saperait la crédibilité des États-Unis et pourrait plonger le monde dans un chaos où les nations belliqueuses agiraient sans retenue.
Le président ukrainien n’a pas manqué de réagir vivement à son exclusion des pourparlers de paix initiés par Trump. Le sénateur Chris Coons du Delaware a exprimé son indignation, qualifiant cette décision de « trahison » envers les sacrifices consentis par l’Ukraine.
De manière stupéfiante, Trump justifie l’absence de l’Ukraine à la table des négociations par des propos déconcertants : « Je suis très déçu d’apprendre qu’ils sont contrariés de ne pas avoir de siège », a-t-il déclaré depuis Mar-a-Lago, ajoutant qu’un négociateur « à moitié compétent » aurait résolu le conflit plus tôt « sans perdre beaucoup de territoire ». Il a poursuivi : « Aujourd’hui, j’entends : “Oh, nous n’avons pas été invités.” Eh bien, vous êtes là depuis trois ans… Vous n’auriez jamais dû commencer. Vous auriez pu conclure un accord. »
Les méthodes de Trump évoquent celles d’Hitler. Récemment, il a subordonné l’aide américaine à l’Ukraine à la signature d’un accord de 500 milliards de dollars, cédant aux Américains la propriété de matières premières stratégiques utilisées dans l’industrie de pointe.
Sans surprise, le sénateur Lindsey Graham, fidèle à Trump, a défendu la position de ce dernier lors de la conférence de Munich : « Un accord sur les minéraux serait un cauchemar pour Poutine, car nous aurions alors quelque chose de concret à défendre. Il faut donc soutenir cet accord. J’ai expliqué au président Trump que Poutine, qu’il s’agisse de l’ancienne URSS ou de la Russie actuelle, ne vise que l’argent. Ne laissons pas la Russie s’approprier les richesses de l’Ukraine. Trump peut ainsi démontrer au peuple américain que l’Ukraine n’est pas un fardeau, mais un atout. Leur sous-sol regorge de minéraux d’une valeur inestimable, dont nous pourrions tous profiter en nous alliant à l’Occident. »
‘Trump a conditionné le soutien américain à l’Ukraine à la signature d’un accord de 500 milliards de dollars cédant aux Américains la propriété de matières premières essentielles.’
Face à une éventuelle famine en Afrique, on peut s’interroger sur l’approche de Trump : exigera-t-il des concessions économiques en contrepartie d’une aide humanitaire ? Une telle attitude pourrait faire des États-Unis la première puissance tyrannique mondiale.
La Conférence sur la sécurité de Munich a mis en lumière la témérité de la politique étrangère de Trump. Le vice-président J.D. Vance y a minimisé l’invasion russe de l’Ukraine et les menaces pesant sur l’OTAN, pointant du doigt ce qu’il considère comme la véritable menace pour l’Europe : la censure des opinions de droite. « La menace la plus préoccupante pour l’Europe n’est ni la Russie, ni la Chine, ni aucune autre puissance étrangère. C’est le danger qui vient de l’intérieur : l’abandon par l’Europe de certaines de ses valeurs fondamentales, des valeurs que nous partageons avec les États-Unis », a-t-il affirmé, ajoutant qu’« aucun pare-feu ne devrait exister ».
L’élection de Trump s’est en partie appuyée sur le soutien des suprémacistes blancs. Sa rhétorique, teintée de références nazies, transparaît dans ses discours et ses posts sur Truth Social. Elon Musk, son « ami proche », a été vu faisant des saluts évoquant le nazisme et soutient ouvertement l’AfD, un parti d’extrême droite allemand aux tendances néo-nazies.
Le contexte est surréaliste. À peine 24 heures après s’être recueilli au camp de concentration de Dachau et avoir évoqué l’horreur de l’Holocauste, Vance rencontrait le chef de l’AfD dans l’ancien quartier général du Parti nazi à Munich. Trump, Vance et Musk semblent déterminés à promouvoir en Europe des mouvements nationalistes extrêmes en phase avec l’idéologie MAGA.
Olaf Scholz, le chancelier allemand, n’a pas mâché ses mots face aux déclarations de Vance. Il a souligné que l’AfD banalise le passé nazi de l’Allemagne et les atrocités qui y sont liées. « Nous ne tolérerons pas l’ingérence d’étrangers en faveur de ce parti dans notre démocratie, nos élections ou notre processus démocratique », a-t-il martelé. « C’est inacceptable, particulièrement entre amis et alliés, et nous nous y opposons fermement. »
‘Elon Musk a fait des saluts de style nazi lors de récentes réunions et soutient l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), un parti nationaliste d’extrême droite qui adhère à l’idéologie néo-nazie.’
Le vice-président J.D. Vance a décliné une rencontre avec le chancelier allemand Olaf Scholz lors de la Conférence sur la sécurité de Munich. Cette décision, perçue comme un affront diplomatique, s’appuie sur l’hypothèse de la Maison Blanche que le gouvernement de Scholz pourrait bientôt être renversé.
L’attrait de Trump pour les dirigeants autoritaires et sa quête effrénée de leur approbation sont manifestes. Son admiration pour Poutine transparaît dans les récents développements : à l’issue des premiers pourparlers de paix sur l’Ukraine, les États-Unis et la Russie ont amorcé des discussions pour normaliser leurs relations diplomatiques et alléger les sanctions économiques liées à l’invasion. Cette démarche révèle la propension de Trump à satisfaire les exigences de Poutine, semblant ainsi cautionner une invasion qui a causé d’innombrables victimes, annexé des territoires ukrainiens et conduit à l’enlèvement de milliers d’enfants ukrainiens, aujourd’hui adoptés par des familles russes.
L’éventualité d’un accord de paix excluant l’Ukraine, couplée à l’absence de garanties de sécurité américaines, pourrait sonner le glas de l’indépendance ukrainienne. Une telle issue est inacceptable et doit être empêchée à tout prix.
Note : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête : Pourparlers entre le vice-président américain et le président ukrainien, Département d’État des États-Unis, Domaine public, via Wikimedia Commons
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Irwin Rapoport, journaliste indépendant, a obtenu une maîtrise en histoire et en sciences politiques à l’Université Concordia.
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