Les actions valent
plus que les paroles
ADM, une pierre d’achoppement majeure de la conservation de l’environnement
Par Richard Swift
23 novembre 2022 | Traduit de l’anglais
Nous Montréalais sommes confrontés à une lutte pour sauver nos dernières zones humides sauvages du vandalisme environnemental. Pour réussir dans cette lutte, nous nous sommes heurtés à des dispositions plutôt opaques qui régissent le développement de l’aéroport dans notre ville, la principale autorité aéroportuaire devenant un obstacle majeur à la conservation de l’environnement. Comme toujours, tout est dans les détails.
Aéroports de Montréal (ADM) souligne, dans ses propres documents, que dans les années 1990, le gouvernement du Canada « a opté pour un modèle unique dans lequel il conserve la propriété de l’aéroport », indiquant que « ADM a un bail à long terme avec Transports Canada qui définit ses obligations », que « le gouvernement du Canada joue un rôle actif en tant que propriétaire-bailleur », et qu’en vertu du « programme de surveillance des baux aéroportuaires, Transports Canada réglemente étroitement ADM et examine continuellement ses activités. » Le centre géographique de l’attention réglementaire est, bien sûr, l’aéroport international Trudeau de Montréal, lui-même situé dans la municipalité de Dorval et l’arrondissement de Ville Saint-Laurent.
Les conditions mêmes de la création d’ADM indiquent clairement que « tout changement d’utilisation des terres doit être approuvé au préalable par Transports Canada ». Ainsi, le gouvernement du Canada est à la fois propriétaire de cette société sans but lucratif et lui loue les terrains sur lesquels elle exerce ses activités. « ADM est tenue de payer un loyer à Transports Canada, qui correspond à un pourcentage des revenus bruts de la société. Chaque année, ADM doit également investir pour maintenir ses installations en bon état et les développer en fonction des besoins des clients, passagers et compagnies aériennes, ainsi que de la communauté montréalaise. »
Ce cadre précis du « modèle unique » de l’aéroport est important car il a suscité un grand sentiment de mécontentement de la part du public. En 2021 et à nouveau en 2022, les Montréalais de tous horizons, les écologistes et les journalistes ont tous indiqué qu’ils pensaient qu’ ADM avait échoué de manière flagrante à satisfaire la communauté urbaine et ses besoins.
Tout d’abord, en 2021, ADM a fait pression pour l’installation d’une usine médicale et industrielle, à être réalisée par une entreprise locale, Medicom, juste sur les champs de papillons monarques dans une partie de la zone qu’ADM louait de Transports Canada au nord de l’aéroport. Montréal est une ville qui s’est engagée à protéger le papillon Monarque. Les experts et les citoyens ont donc été outrés d’apprendre que 21 millions de dollars de subventions fédérales accordées à Medicom serviraient à financer la dévastation de cet environnement unique. La colère du public s’est manifestée par plus de 100 mémoires soumis à une consultation menée à huis clos par ADM elle-même au nom de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.
La colère du public s’est manifestée par plus de 100 mémoires soumis à une consultation menée à huis clos par ADM elle-même au nom de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.
ADM et Medicom ont toutes deux été surprises que le public soit si perturbé par ce projet que beaucoup considèrent comme une destruction écologique. Par la suite, Medicom, qui cherche à maintenir une image pro-environnementale, a retiré sa demande de projet. C’est donc l’entreprise privée qui a pris la bonne décision en matière d’environnement, et non les fonctionnaires du gouvernement.
Puis un an plus tard, en 2022, ADM a rasé les mêmes champs de papillons monarques où cette espèce migratrice se reproduit et se nourrit d’asclépiades. Là encore, l’action d’ADM a suscité l’attention immédiate des médias et une nouvelle protestation du public.
Au moment même où le drame des papillons se déroulait, deux groupes environnementaux – Technoparc Oiseaux et la Coalition Verte – faisaient pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il préserve le dernier grand milieu humide de Montréal, connu simplement sous le nom de Technoparc. Cet écosystème de 215 hectares de marais, de forêts et de champs constitue la partie non développée de la zone que le gouvernement fédéral loue à ADM. Les champs de papillons monarques font partie intégrante de cet écosystème irremplaçable. La menace qui pèse sur cet écosystème fait partie de la dégradation de l’ensemble de l’écosystème des zones humides dont ils font partie.
En 2015, un ornithologue local bien connu, Joël Coutu, a fondé Technoparc Oiseaux pour attirer l’attention du public sur le magnifique écosystème de 215 hectares situé au nord de l’aéroport. Coutu, à l’aide de ses célèbres tournées citoyennes dans la zone, a montré que plus de 200 espèces d’oiseaux avaient trouvé refuge dans l’écosystème du Technoparc afin de faire face à l’étalement urbain massif et à la perte de leur habitat.
‘ADM reste enfermé dans une vision des années 60 du développement de l’aéroport, fortement industrialisé, et totalement inconsciente de l’impact irrépressible du changement climatique.’
Le gouvernement du Canada a été pressé à plusieurs reprises d’utiliser son droit de propriété sur plus de 70% de l’inestimable écosystème. Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a visité les lieux, affirmant vouloir conserver le Technoparc, et parlant même publiquement devant une commission parlementaire d’un projet pour la zone sur lequel toutes les parties pourraient s’entendre. Mais à ce jour, aucun projet de ce type n’a vu le jour.
De toute évidence, ADM ne veut pas renoncer à ses plans de développement pour cette zone, même si l’autorité aéroportuaire est subordonnée au gouvernement fédéral, est locataire du terrain et doit tenir compte des besoins de la communauté et de l’environnement.
ADM reste enfermé dans une vision des années 60 du développement de l’aéroport, fortement industrialisé, et totalement inconsciente de l’impact irrépressible du changement climatique.
Un aéroport moderne en 2022, et au-delà, doit respecter l’environnement et chercher à améliorer la biodiversité. Il ne doit pas la détruire. À une époque où une opportunité commerciale lucrative et le sort des espèces sur terre (la nôtre et bien d’autres) se trouvent si souvent en opposition, seuls les investisseurs les plus aveugles se contentent de faire comme si de rien n’était.
L’impact environnemental de léquipe qui gère l’aéroport de Montréal peut sembler insignifiant comparé à celui des capitalistes du carbone et du secteur pétrolier, qui enregistrent des augmentations de profits record tout en profitant des bouleversements énergétiques de la guerre en Ukraine. Les politiciens, qui habituellement se montrent prudents, se jettent aujourd’hui sur les nouveaux projets gaziers et pétroliers tels que le projet offshore Bay du Nord à Terre-Neuve, adopté avec enthousiasme à tous les niveaux de la classe politique.
Exxon Mobil a réalisé 18 milliards de dollars de bénéfices au deuxième trimestre de 2022. Shell et Chevron ont chacune engrangé près de 12 milliards de dollars. Ce sont des chiffres records.² Ces chiffres reflètent également un imminent péril pour les espèces et un effondrement du climat à court terme.
Pour couronner le tout, les lobbyistes pro-carbone, avec plus de 630 délégués, ont constitué la deuxième plus grande délégation aux négociations sur la crise climatique à Sharm el-Sheikh, où s’est tenue la COP27. C’est un nombre de délégués supérieur à la participation des pays africains et des communautés autochtones réunies.
Jusqu’à présent, l’Aéroport maintient des engagements environnementaux vagues et semble déterminé à garder le contrôle des espaces verts dont il n’est pas propriétaire.
En comparaison, les espaces verts menacés qui sont sous le contrôle d’ADM et les opportunités d’investissement qu’ils offrent peuvent sembler bien peu de choses. Mais il s’agit d’une lutte classique entre la gestion durable et la rentabilité. Ce n’est pas une hyperbole que de souligner que des luttes sont menées dans tous les coins du globe contre la croissance et le développement axé sur le profit et piloté par les magnats des entreprises et leurs alliés au sein du gouvernement et du monde universitaire.
Dans le cas d’ADM, de belles paroles en faveur de la transparence, de la durabilité et de la responsabilité d’entreprise agrémentent leur site web et leurs communiqués de presse, mais comme le dit le vieil adage écossais datant des années 1600, « ‘fine words butter no parsnips’. » (les belles paroles ne beurent pas le panais).
Jusqu’à présent, l’Aéroport maintient des engagements environnementaux vagues et semble déterminé à garder le contrôle des espaces verts dont il n’est même pas propriétaire et qu’il ne loue que pour conserver son droit de les affecter à des projets de développement corporatifs rentables.
Trop souvent, ceux qui prennent des décisions hostiles à l’environnement restent dans l’ombre derrière la fiction juridique de la personnalité morale et du langage et logos accrocheurs. C’est le cas de l’ADM. Mais un coup d’œil sur leur site web révèle au moins quelques-uns de ceux qui pourraient être concernés. Le comité de gestion révèle deux personnages qui semblent susceptibles de contribuer aux décisions d’investissement : Philippe Rainville, président-directeur général d’ADM, et le vice-président Sylvain Choinière, chargé des questions juridiques et des affaires immobilières.
De toute évidence, il est impossible de savoir s’il y a des désaccords au sein du comité de gestion ou du conseil d’administration sur ce qu’il convient de faire avec les 155 acres d’espaces verts que l’aéroport maintient comme sites potentiels pour le développement commercial. Après tout, la transparence a ses limites. Mais il serait réconfortant de savoir que les personnes chargées de piloter l’ADM ont poussé leur réflexion plus loin que le paradigme habituel des années 50 et 60, à savoir une croissance basée uniquement sur la rentabilité, quelles qu’en soient les conséquences.
Il n’est pas évident qu’ADM doive être une entité entrepreneuriale conçue sur le modèle public/privé si répandu dans les cercles de gouvernance corporative de nos jours. Ces modèles ont trop souvent abouti à des situations de profit privé et de risque public. Notre système de transport est censé être une entité publique financée par des budgets publics dans l’intérêt de tous. S’il n’y avait pas de subventions publiques aux systèmes municipaux d’autobus et de métro, les prix pour les usagers grimperaient en flèche, et le système tomberait rapidement en désuétude.
Si ADM a besoin d’aide pour boucler son budget de fonctionnement, pourquoi ne pas en faire un élément régulier des dépenses provinciales et fédérales, soumis à un débat public et à une évaluation ? C’est mieux que de faire en sorte que des aéroports comme ADM jouent le rôle de courtiers en immeubles en vendant de précieux espaces verts pour de l’étalement urbain.
‘Si ADM a besoin d’aide pour boucler son budget de fonctionnement, pourquoi ne pas en faire un élément régulier des dépenses provinciales et fédérales, soumis à un débat public et à une évaluation ?’
En outre, ADM et les autres aéroports ont une responsabilité particulière dans cette ère de dégradation du climat. Selon la Fondation David Suzuki « Alors que de nombreux secteurs commencent à réduire leurs émissions, celles de l’aviation ont continué à augmenter. Les émissions de carbone de l’industrie du transport aérien ont augmenté de 75 % entre 1990 et 2012. On s’attend à ce qu’elles continuent de croître rapidement jusqu’en 2050. Si rien n’est fait, elles pourraient consommer un bon quart du budget carbone disponible pour limiter la hausse des températures à 1,5 C. » ³
Si nous prenons la dégradation du climat au sérieux, nous devons décroître le trafic aérien et l’infrastructure aéroportuaire qui le sous-tend. Compte tenu de cet impératif, on peut se demander si Messieurs Rainville et Choinière sont les plus qualifiés pour superviser la cette métamorphose nécessaire d’ADM s’ils ne peuvent même pas renoncer à développer les espaces verts existants qui sont sous la tutelle d’ADM.
Pour réduire notre dépendance au transport aérien, il faudra soit augmenter les redevances d’utilisation des aéroports pour les compagnies aériennes, qui essaieront sans doute de les reporter sur les passagers (dont beaucoup n’auront plus les moyens d’acheter des billets), soit mettre en place un système de rationnement des vols en fonction des besoins et de la fréquence.
Bien que cela aille bien au-delà de la portée d’un aéroport individuel, une sensibilité écologique à tous les niveaux, y compris celui d’ADM, est nécessaire si nous voulons ramener le transport aérien à des niveaux durables. ADM pourrait nous donner la preuve de cette sensibilité écologique en cédant chaque pied carré d’espace vert sous sa tutelle pour qu’il soit sauvegardé comme réserve écologique à perpétuité.
1 admtl.com/en/adm/company/governance-transparency
2 theguardian.com/commentisfree/2022/aug/02/oil-industry-record-profits-climate-crisis
3 davidsuzuki.org/living-green/air-travel-climate-change
Note : Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les points de vue et les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête : Zones humides du Technoparc, par Ilana Block
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Richard Swift est un auteur basé à Montréal et ancien collaborateur au magazine New Internationalist d’Oxford, au Royaume-Uni.
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