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La trilogie troyenne
de Michael Cacoyannis / 2

Le réalisateur nous offre une oeuvre grave et grandiose, pleine de fureur et de grâce

Par Francis Ouellet

Précédemment publié le 19 août 2016
Katherine Hepburn et Geneviève Bujold

Katherine Hepburn et Geneviève Bujold

En 1971, dix ans après la sortie d’Électre, Michael Cacoyannis tourne la seconde partie de sa trilogie, Les Troyennes. L’histoire se déroule quelques semaines avant le début des événements relatés dans Électre. Nous sommes témoins des derniers jours de Troie, vaincue et en ruine. Les Grecs s’apprêtent à quitter la cité, naguère si fière, pour rejoindre leur patrie, les navires chargés des dernières richesses prises aux Troyens.

Le récit nous est raconté à travers différents personnages féminins, tous brisés par la guerre, sans espoir et pourtant gardant une certaine dignité: Hécube, reine déchue de Troie, interprétée par la grande Katherine Hepburn; Cassandre (Geneviève Bujold), princesse et oracle, qui avait prédit la victoire des Grecs, mais que personne n’avait crue; et finalement Hélène (Irène Papas), celle par qui tout avait commencé, pour qui des centaines d’hommes ont trouvé la mort, instigatrice involontaire du terrible sort de la cité.

Toujours ce destin implacable auquel on ne peut échapper. Encore une fois, Cacoyannis nous offre une œuvre grave et grandiose, pleine de fureur et de purs moments de grâce. Néanmoins, le film, si on le compare à Électre, semble manquer de naturel, d’authenticité. Cela est sans doute attribuable au casting international, quoique de très grande qualité, et au tournage en Espagne, et en anglais plutôt qu’en grec, puisque le film était une coproduction de l’Angleterre, des États-Unis et de la Grèce. On a souvent reproché cela à Cacoyannis, mais, faute de capitaux grecs suffisants, pouvait-il vraiment faire autrement? De toute manière, ces critiques sont inutiles, et il serait grossier de dramatiser: il s’agit d’un très grand film pacifiste et d’une des plus belles représentations cinématographiques de la guerre de Troie.

Cacoyannis nous offre une oeuvre grave et grandiose, pleine de fureur et de purs moments de grâce.

Tatiana Papamoschou et Kostas Kazakos

Tatiana Papamoschou et Kostas Kazakos

Michael Cacoyannis présenta en 1977 la conclusion de sa trilogie troyenne: Iphigénie, qui est un véritable joyau du septième art. On y retrouve la même grâce et la même beauté tragique et désespérée que dans Électre, mais l’œuvre est véritablement transfigurée par la photographie solaire de Giorgos Arvanitis et la musique de Mikis Theodorakis, à la fois épique et tout en retenue. Rarement l’adaptation d’une œuvre littéraire au grand écran avait atteint une telle grandeur, autant par la fidélité au texte original que par une représentation picturale absolument admirable.

Nous nous retrouvons plongés dans les événements qui précèdent la guerre de Troie. Les Grecs sont sur le point de quitter leur rivage, mais le doute assaille leur chef, le roi Agamemnon. Obéissant aux oracles qui ordonnent un sacrifice afin que les dieux leur soient favorables, Agamemnon leur livrera sa propre fille, Iphigénie, malgré les supplications de son épouse, Clytemnestre. Par ce geste, le roi met en marche les sombres événements à venir qui le mèneront à la mort et maudiront sa lignée.

Nous retrouvons à nouveau ce ton désespéré et ces êtres déchirés par des actions qu’ils doivent accomplir, à regret et contre leur gré. Sous le soleil brulant, en pleine lumière, sans espoir de pouvoir se cacher, les personnages s’affrontent et se déchirent, incapables de fuir cette vie perfide, tournant tels des vautours autour de la jeune et belle Iphigénie (magnifique Tatianna Papamoskou), symbole d’innocence et de pureté, résignée à aller jusqu’au bout de son cruel destin.

On n’oubliera pas de sitôt la scène finale, lorsque Clytemnestre, à qui Irène Papas offre sa beauté sévère, observe les navires grecs qui quittent le rivage, le regard chargé de colère et de tristesse, la soif de vengeance lui empoisonnant déjà le cœur. Une fois de plus, Cacoyannis a su rendre justice à l’œuvre d’Euripide, et ce, de façon prodigieuse.

‘Cacoyannis a également su s’entourer d’acteurs de très grand talent qui ont trouvé, sous sa direction, l’essence même de la tragédie antique, et qui ont su se l’approprier et la moderniser.’

Certains critiques et historiens, tel Georges Sadoul, ont déjà laissé entendre que Cacoyannis s’était contenté « d’écraniser » de grands textes. Rien ne saurait être plus faux, d’après moi. Non seulement son travail d’adaptation fut irréprochable, mais la représentation qu’il en a fait, autant par sa mise en scène que par le soin extrême apporté à la photographie et à la musique, a permis à des œuvres littéraires vieilles de plus de deux millénaires de retrouver une jeunesse et de toucher au plus profond du cœur un tout nouvel auditoire.

Le réalisateur a également su s’entourer d’acteurs de très grand talent, Irène Papas en tête, qui ont trouvé, sous sa direction, l’essence même de la tragédie antique, et qui ont su se l’approprier et la moderniser. De plus, son rôle de chef de file du cinéma grec de la seconde moitié du vingtième siècle ne saurait être mis en doute, car il a donné au cinéma national grec une ampleur et un auditoire qu’il ne possédait pas jusqu’alors.

Michael Cacoyannis a ainsi ouvert la voie à d’autres cinéastes grecs qui ont pu s’illustrer dans les plus grands festivals, tels Theo Angelopoulos et Costas Ferris. Il fut un très grand cinéaste et un artiste de premier plan. Ces trois œuvres exceptionnelles, sauvages et d’une grande beauté, en sont la preuve.

De belles versions DVD de Électre (Electra) et Les Troyennes (The Trojan Women), produites respectivement par MGM et Kino Lorber, sont offertes sur le marché et peuvent être facilement trouvées sur des sites Web spécialisés, tels Amazon ou Ebay. Pour ce qui est d’Iphigénie (Iphigenia), il existe une version DVD éditée par MGM en 2007, mais elle est plutôt rare, et son prix est souvent exorbitant. Bon cinéma!

Image vedette : Astianax, domaine public
Autres images : Michael Cacoyannis Foundation

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Francis Ouellet a toujours été un amoureux fou du cinéma, de l’animation et de la bande dessinée. Cette obsession de l’image, du mouvement, de l’ombre et de la lumière l’a conduit à faire carrière dans le domaine de la publicité et des communications graphiques. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à travailler, dans ses temps libres sur divers projets d’animation et de bande dessinée.



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