Copier-Coller, fin de saison
chez Tangente
Trois chorégraphies choisies proposent une interaction inédite entre le public et les interprètes
Par Luc Archambault
Déjà une fin de saison pour Tangente, écourtée cette année par l’ouverture tardive de l’édifice Wilder. Pour terminer sa programmation, le spectacle Copier-Coller, où l’on était convié à « repenser le scénario à travers des collages de mouvements et différents univers chorégraphiques ».
Encore une fois, le spectacle se composait de trois chorégraphies bien distinctes. La première, Nolo, Curating the Body, était une création du groupe britannique The Uncollective, composé de Eve Stanton, interprète et commissaire, de Michael Kitchin, directeur des répétitions et commissaire, et de Sorcha Stott-Strzala, directrice des répétitions et commissaire. Pas moins de six chorégraphes ont participé à cette création, trois de Londres et trois de Montréal, dont Katie Ward.
L’auditoire se situe en pourtour de salle, laissant le centre vide, hormis un petit bureau sur lequel sont placés un bol d’eau et une perruque. Puis l’interprète entre, grande, longiligne, le crâne rasé. Elle s’approche du bureau, place la perruque sur son visage, et trempe ses doigts dans le bol. Elle entonne un cri sourd et semble en transe, puis se met à frotter le sol, en s’approchant des spectateurs. De là, elle sautille selon différents rythmes – fort probablement une influence de Katie Ward – et rase de près l’auditoire médusé, son visage tordu par un rictus enragé. Elle tourne, tourne, tourne encore, telle une derviche complètement hors d’elle-même. Finalement, la ronde cesse et elle se met alors à s’asseoir sur des spectateurs ébahis. Après avoir ainsi ‘essayé’ une dizaine de sièges humains, elle quitte la scène. Quel ensorcellement ! Quelle prestation !
… repenser le scénario à travers des collages de mouvements et différents univers chorégraphiques.
Pareille interaction entre interprète et public est fort rare, l’auditoire étant normalement confiné à des sièges fixes au sein d’auditoriums. Dans le cas de Tangente, la multiplicité des salles et la configuration même de l’édifice Wilder permettent toute une panoplie de possibilités. « Nous en sommes toujours à l’étape d’exploration de cet espace », confie Dena Davida, commissaire et égérie de Tangente.
La deuxième partie de la soirée, Identity Binding, est une création et une interprétation de Victoria Mackenzie. Résultat de trois ans de recherche, d’exploration et d’expérimentation, cette chorégraphie, qui tient énormément du break-dance, est un véritable tourbillon émotif d’une intensité qui n’a rien à envier à l’interprète précédente, la rage en moins.
Avec une trame sonore qui détonne et se termine toute en dissonance, la danseuse utilise au maximum le plancher de scène fraîchement verni de la salle Dena Davida (une des trois salles de spectacle de l’édifice Wilder est en effet nommée en son honneur) pour y tournoyer telle une toupie. Puis, la chorégraphie prend des airs plus classiques, avec projection sur le mur du fond d’images de la danseuse. Un beau moment.
Pour terminer, Monte-Charles, une création et une interprétation de Philippe Meunier et Ian Yaworski, accompagnés par Sébastien Chalumeau, Jonathan C. Rousseau et Antoine Turmine. Cette chorégraphie hors-norme est à la fois un spectacle de gigue contemporaine et une exploration in-situ de l’édifice Wilder par le biais de l’utilisation du monte-charge industriel de service, où s’entassent les membres de l’auditoire (avec la contrainte d’un nombre limite de 26 personnes par cargaison, ce qui divise l’auditoire en deux groupes).
… cette chorégraphie hors-norme est à la fois un spectacle de gigue contemporaine et une exploration in-situ de l’édifice Wilder
S’en suit un parcours atypique entre le premier, le rez-de-chaussée et le sous-sol, alors que les interprètes se déplacent d’un étage à l’autre en utilisant les ascenseurs réguliers, devançant le monte-charge et offrant aux spectateurs une chorégraphie pleine de surprise et de rondes, en trios, en duos, en quatuors et en quintettes. Le moment fort de cette déambulation entre les étages arrive lorsque le monte-charge s’arrête au sous-sol, les portes toutes béantes révélant l’espace immense de l’aire de déchargement et du stationnement intérieur. Une utilisation maximale des possibilités de l’édifice Wilder.
Ce qui restera mémorable de cette chorégraphie sera sans aucun doute l’accompagnement de l’un des interprètes pendant une partie de la déambulation verticale au sein des spectateurs. Il dévisagera ainsi ceux qui se tiennent au centre de l’espace restreint (il ne fait pas souffrir de claustrophobie), il les touche, les enlace, tout en sourire, tout en douceur. Pareille proximité évoque ainsi la première partie, et vient boucler magnifiquement la boucle d’une soirée mémorable.
… une chorégraphie pleine de surprise et de rondes, en trios, en duos, en quatuors et en quintettes.
La seule critique face à tous ces spectacles incroyables mis de l’avant par Tangente et qui ont meublés cet hiver plutôt morne côté culturel, est la tenue d’une seule soirée causerie suite au spectacle. Je pense que beaucoup de spectateurs seraient certainement très intéressés par une discussion à bâtons rompus entre artistes, interprètes et chorégraphes, avec une Dena Davida toujours pertinente et au savoir profondément encyclopédique en danse contemporaine. Pareille proximité avec ces artistes géniaux (pour la plupart) viendrait briser la distance entre ceux-ci et l’auditoire, tout en jetant une lumière exceptionnelle sur leurs processus de création. À repenser peut-être pour la prochaine saison ?
Un immense bravo, des applaudissements et des congratulations hautement mérités pour toute l’équipe de Tangente. À septembre… L’été sera long.
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Images : Claire Renaud
Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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