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Idéations ludiques :
un concept gagnant

Trois chorégraphies hautement créatives combinées en un seul spectacle à Tangente

Par Luc Archambault

Le 17 mars dernier, non seulement une, mais bien trois chorégraphies distinctes prirent les planches d’assaut à l’Espace Danse de l’édifice Wilder, maison-mère de Tangente, le point névralgique de la danse contemporaine à Montréal. Toutes trois furent retenues pour ce spectacle particulier en raison de leur approche commune face au ludisme et à la satyre, par la combinaison du jeu et de l’art de la performance. Trois approches complètement différentes, trois fortes prestations, trois délices pour les yeux.

Les vendredis les soirs, les performances sont toujours suivis d’une période de discussion, et Dena Davida, commissaire à Tangente, expliqua que le nombre élevé d’artistes invités à performer résulte du délai dans l’ouverture de la programmation de Tangente à cause des retards dans l’aménagement de l’édifice Wilder qui n’est toujours pas terminé, quoiqu’il soit désormais fonctionnel. Donc, à partir de maintenant, il ne sera pas rare de compter trois différentes chorégraphies par spectacle.

Trois approches complètement différentes, trois fortes prestations, trois délices pour les yeux.

Les premiers danseurs sur scène furent Esther Rousseau-Morin et Nathan Yaffe, dans la chorégraphie intitulée Facing away from what which is coming, d’Andréa De Keijzer et Erin Robinson, avec l’aide au niveau dramaturgique de Hanna Sybille Müller. Les deux protagonistes – on serait même tenté de les appeler adversaires, voire même combattants – se tiennent l’un derrière l’autre. La scène est vide, hormis quelques objets divers tout au fond.

La chorégraphie débute avec chaque danseur prennant d’assaut le corps de l’autre, comme s’ils jouaient avec une poupée géante, chacun à la merci totale de l’autre. Ils dansent avec abandon et une immense complicité, utilisant les objets placés sur le sol pour transformer, limiter, et se moquer de l’intégrité de leur condition humaine, des stéréotypes que nous acceptons tous communément. Les deux dansent à l’unisson et un courant profond semble passer entre eux.

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‘Ce trio cherchait résolument à enflammer les planches avec une chorégraphie aussi éclectique qu’originale.’

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Le second groupe sur scène comprend Claudia Chan Tak et Louis-Elyan Martin, danseurs et chorégraphes, et Sébastien Provencher. Ce trio performe la pièce nommée Tangente conceptuelle : neo-contemporary duet, pour requiem intellectuel. Ce trio cherchait résolument à enflammer les planches avec une chorégraphie aussi éclectique qu’originale.

Jouant sur un registre érotique, ils ont explosé sur scène avec une furie difficile à contenir. Sur une trame sonore superbe, ils ont exploré un aspect du « trop de tout », tel qu’expliqué dans le programme de la soirée : « Trop de mouvements, trop de technique, trop de lignes, trop d’émotions, trop de hashtags, trop de poésie… ». Les moments marquants de cette chorégraphie furent l’ouverture béante du mur latéral de la scène sur des fenêtres gigantesques donnant sur l’extérieur, les mouvements transgenres de Louis-Elyan Martin portant des talons aiguilles, et la finale toute en cris de Claudia Chan Tak, métamorphosée en harpie ou en walkyrie, vociférant sur un ton aiguë des mots conceptuels rédigés sur de petits cartons – hautement imaginatif, méritant toues les félicitations du monde pour cette chevauchée endiablée.

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Le troisième et dernier acte de la soirée fut Human Synthesizer, mettant en vedette sa conceptrice Katie Ward, danseuse et chorégraphe, Michael Feuerstack, concepteur et interprète de la musique, et Paul Chambers à l’éclairage et à la manipulations d‘objets sur scène. Ici, un jeu de mémoire discret était en cours. Des objets provenant des performances précédentes étaient présents sur scène : un escarpin, des fruits, un escabeau, tous manipulées par Paul Chambers, alors que Michael Feuerstack jouait avec l’orientation des hauts-parleurs.

‘…cette chorégraphie détient le plus fort potentiel des trois, ouvrant la porte à des sommets encore plus hauts…’

playful conceptualities human synthesizer WestmountMag.caLa musique créait un environnement ambiant des plus atmosphériques, alors que l’éclairage variait constamment. La chorégraphie elle-même évoquait celle des derviches tourneurs. Une lente pulsation initiale, de petits sauts circulaires, alors que l’auditoire était invité à s’asseoir en cercle autour de la scène, délimitant l’espace de performance. Ici encore, de l’expérimentation à l’état pur, mais le concept n’a pas été porté à son paroxysme.

J’aurais aimé voir une chorégraphie orbitale de la part de Katie Ward, comme la Terre tournant à la fois sur elle-même et autour du Soleil, pour transporter cette danseuse, et du coup l’auditoire tout entier, en un état fiévreux, voire en transe pure et simple, sous une musique encore plus rythmée, tribale, primaire. Quant à l’éclairage, pourquoi ne pas aller vers l’extrêmité ultra-violette du spectre, et faire porter à Katie Ward des vêtements (voire même une robe, comme un véritable derviche tourneur) arborant des symboles ou dessins spécialement conçus pour tirer avantage de cette nouvelle réalité ?

Mais ce ne sont que mes questionnements, car cette chorégraphie détient le plus fort potentiel des trois, ouvrant la porte à des sommets encore plus hauts, telle une création évolutive… Mais quelle profondeur, quelle ingéniosité, quelle recherche conceptuelle !

Si cette représentation est garante des performances futures de Tangente, alors ce futur s’annonce des plus brillants et je suis impatient d’assister aux spectacles à venir.

Images : Frederic Chais


Luc Archambault WestmountMag.ca

Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.

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