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Déclaration d’artiste :
Jennifer A. Goddard

Répondre aux injustices et aux convulsions de la société… ou s’évader dans la couleur, la lumière et le trait

Par Jennifer A. Goddard

Précédemment publié dans WestmountMag.ca

Quand j’avais environ quatre ans, j’ai dessiné sur le siège des toilettes avec le rouge à lèvres de ma mère. Quelle surface magnifique et lustrée – je m’en souviens encore – et ces volutes rouge vif et brillantes. Heureusement, j’avais des parents enjoués qui m’ont inscrit à des cours d’art quelques années plus tard.

(Une mise en garde cependant : Ces mêmes parents m’ont plus tard détourné des beaux-arts pour m’orienter vers quelque chose de plus embauchable : l’art graphique. C’était bien, j’ai pu gagner ma vie, mais cela a conduit à des années de désapprentissage et à des œuvres non réalisées. Si vous êtes un artiste en herbe, assumez-le. Si vous avez des enfants qui le sont, laissez-les être artistes.)

Si vous êtes un artiste en herbe, assumez-le. Si vous avez des enfants qui le sont, laissez-les être artistes.

Bien sûr que c’est difficile. La création artistique est rarement amusante, mais plutôt épuisante, frustrante, et elle vous met à l’envers. Mais c’est un besoin aussi essentiel que de respirer, et sa pratique n’est pas menée par une valeur commerciale, ce qui est rare de nos jours. Et vous ne serez probablement jamais riche (le monde de l’art, en particulier pour les femmes artistes, sera le sujet d’une autre discussion plus tard), mais lorsqu’une œuvre est réussie, lorsqu’elle touche profondément une autre personne, cela vous rend – si j’ose dire – heureux.

Jennifer Goddard: Almost dusk on the pond

Almost dusk on the pond – Huile sur toile

Mon approche est soit une réplique, soit une fuite : l’activiste répond aux injustices et aux convulsions de la société ; l’évadée se perd dans la couleur pure, la lumière, le trait et la composition. Je commente visuellement mon monde – notre monde – à travers mon travail, en utilisant le spectre de mes propres réactions émotionnelles, allant de l’enchantement à la rage. Il y a des éléments narratifs, mais généralement pas à dessein. J’exprime ce que je ressens, je cherche le dialogue avec le spectateur, dans l’espoir de trouver une vérité partagée.

L’idée maîtresse de mon approche est la recherche de vérité

Je cherche la vérité dans la psyché et la condition humaine, la vérité dans une expérience sensorielle vécue, la vérité dans le monde naturel…. et la vérité dans la précision du trait, de la luminosité et de la couleur. Parce que, de manière quelque peu subversive de nos jours, je crois au savoir-faire. La maîtrise du dessin, de la composition et de la couleur sont les vérités absolues qui sous-tendent toute approche créative ou interprétation réussie.

‘La maîtrise du dessin, de la composition et de la couleur sont les vérités absolues qui sous-tendent toute approche créative ou interprétation réussie.’

Techniquement, mon travail relève du réalisme contemporain. Représentatif, figuratif. C’est logique, j’ai examiné de près tout ce qui m’entoure, probablement depuis ma naissance. Mon processus est simple, le mieux résumé par la poétesse Mary Oliver : « Prêtez de l’attention. Soyez étonnée. Partagez-le. »

Je regarde vers l’extérieur et, ce faisant, mon moi intérieur est inévitablement intégré à l’œuvre. Tous les projets pour lesquels je n’ai pas ressenti mon sujet ont échoué. Encore une fois, Mary Oliver : « Le regard sans sentiment n’est qu’un rapport. Une ouverture – une empathie – est nécessaire pour que cette attention ait de l’importance. »

Donc, ce n’est pas un regard impassible. Parfois, l’observation est si intense, si brûlante d’énergie, que vous êtes affamée à la fin de la session. À l’ère du swipe, le fait de regarder, de contempler, souvent durant des heures, est une sorte de maîtrise en soi.

‘À l’ère du swipe, le fait de regarder, de contempler, souvent durant des heures, est une sorte de maîtrise en soi.’

L’observation attentive et focalisée devient également un dialogue avec le sujet. Dans le contexte des figurations et des portraits, le sujet dégage son état psychologique, facilement absorbable par tout artiste qui y est ouvert. Dans mon cas, cela affecte beaucoup mon approche. La symbiose qui se crée entre moi et mon sujet dictera le support, la palette de couleurs et même la taille.

Véro – Huile sur toile

Un bon exemple est celui de ma collaboration avec la modèle professionnelle Véronique Verhoeven. Nos séances de pose ont révélé la force qu’elle représente : petite, faussement délicate, bohème, militante, danseuse de tango et féministe acharnée, ce qui a suscité des conversations qui nous ont mené au mutisme systématique imposé aux femmes. L’image de Véro est née lorsque j’ai enroulé sa longue tresse caractéristique autour de sa gorge pour “étouffer” sa voix. Elle m’a donné une expression de défi et de dédain qui exigeait un format plus grand que nature, soit 60 x 76 cm.

 

 

 

Jennifer A. Goddard : Bull Fighter

Bull Fighter – Aquarelle, fusain, graphite, pastel sur papier Arches

La même convergence s’est produite avec Lyne Charlebois, une figurante accomplie d’apparence pulpeuse. J’avais apporté des tissus et des robes lors de nos séances de pose afin d’expérimenter. Au moment où elle a enroulé une robe rouge autour de ses épaules, elle est devenue monumentale et implacable face à la cruauté et à l’ignorance de la société. L’œuvre qui en a résulté, Bull fighter, confronte la bêtise de la société à l’égard de la corpulence, et la confronte dans un dessin à médium mixte de 56 x 84 cm qui célèbre le rouge de la raillerie.

 

 

 

 

 

Pour The Cosmetic Project (2016), j’ai poursuivi ces thèmes à travers un triptyque de 4 par 12 pieds en utilisant uniquement des produits cosmétiques pour exécuter les trois panneaux : Des crèmes correctrices pour représenter l’homophobie et ses appels obscènes à la thérapie de conversion, des dissimulateurs pour représenter la stigmatisation entourant le poids corporel, et des ombres à paupières pour représenter l’âgisme et l’invisibilité progressive des femmes à mesure qu’elles vieillissent.

Jennifer A. Goddard: The Cosmetic Project triptych

The Cosmetic Project: crèmes correctrices/dissimulateurs cosmétiques/ombre à paupières

L’année 2018, au sommet de l’ère Trump et de la montée du mouvement suprémaciste blanc, combinée aux crescendos parallèles de MeToo, BlackLivesMatter et de la crise climatique, a provoqué en moi une réaction très intense. Cette année-là, lors de mon exposition solo Obligate Seeder (Semoir obligatoire) à la galerie ERGA de Montréal, j’ai exposé des panneaux pleine grandeur de mes poèmes aux côtés de toiles apparentées, avec l’ensemble publié dans un livre du même nom. Le titre s’inspire de la capacité de certaines plantes à se régénérer après des feux de forêt – je réagissais aux violents événements mondiaux par l’art et les mots, avec rage, tristesse, sarcasme… mais finalement avec espoir.

‘Il n’y a rien de tel que de revivre à travers la peinture un ciel qu’on a vu, le corps d’un arbre, la particularité du temps ou les ombres obliques d’un moment de la journée.’

Par ailleurs, l’art peut être une évasion absolue. Il y a de la sérénité dans la nature morte, et l’attention tranquille portée aux objets du quotidien… mais le paysage est l’ultime évasion. Les richesses infinies et inouïes des saisons, de la lumière et des couleurs que nous avons la chance de contempler.

Il n’y a rien de tel que de revivre à travers la peinture un ciel qu’on a vu, le corps d’un arbre, la particularité du temps ou les ombres obliques d’un moment de la journée. C’est du dessin et de la peinture avec la suppression bénie de l’intellect.

Jennifer Goddard: December morning outside Okotoks

December morning outside Okotoks – Huile sur toile

Est-ce que j’utilise des photos ? Certainement, à titre de référence après une première séance avec un modèle, qui est pour moi crucial pour la connexion et la symbiose avec mon sujet. J’adorerais tenir des séances de 20, 30 ou 40 heures, mais elles sont aussi coûteuses que peu réalisables. De plus, avec des figurants inexpérimentés, la fatigue et l’ennui peuvent conduire à un manque d’intérêt. J’utilise la photographie pour capturer un moment de la pensée du modèle qui se reflète dans ses yeux et les coins de sa bouche.

‘… votre esprit a pris la photo, et vous peignez le souvenir de ce que vous avez vu et ressenti à ce moment-là – c’est ça la vérité.’

Quant aux paysages, rien n’égale le plein air, l’idéal pour des études rapides qui capturent l’instant fugace. Les photos serviront de références en atelier. Mais je n’utilise que mes propres photos (j’en ai d’énormes dossiers) : Si vous n’avez pas été là, si vous n’avez pas vu, entendu, senti la température, la lumière et la magie de l’endroit dans vos terminaisons nerveuses, ça ne marchera pas. Car, en fait, votre esprit a pris la photo, et vous peignez le souvenir de ce que vous avez vu et ressenti à ce moment-là – c’est ça la vérité.

Jennifer Goddard: Dawn on the way to-Westwood

Dawn on the way to Westwood – Huile sur toile

jgoddardartist.com
Instagram: goddard.jennifer
Facebook: artistJenGoddard

Le livre Obligate Seeder est disponible sur blurb.com


Image d’entête : Brilliant morning, Okotoks – Huile sur toileButton Sign up to newsletter – WestmountMag.ca

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Jennifer A. Goddard

Jennifer A. Goddard travaille à l’huile et au dessin multi-média. Elle se concentre sur son grand amour pour le monde naturel, la magie de la lumière, et sur les langages du visage et du corps. Artiste depuis toujours et largement autodidacte, elle a étudié durant trois étés au Banff Centre, en Alberta, au Studio Escalier à Paris et à Argenton, en France (2015-16), et auprès de divers maîtres en parallèle à une carrière dans la publicité. Elle a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives et ses œuvres se retrouvent dans des collections privées au Canada, en Europe et aux États-Unis. • jgoddardartist.com



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