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Le génie caché
de Stanley Kubrick

Pour ce réalisateur visionnaire, chaque élément est crucial et aucun n’est laissé au hasard

Par Francis Ouellet

Pécédemment publié le 29 juillet 2017

Il y avait moi, c’est-à-dire Alex…

Par ces quelques mots, mon initiation à l’univers d’un des cinéastes visionnaires les plus marquants de la seconde moitié du vingtième siècle commençait. Et dans ce simple plan, se révélaient plusieurs des éléments primordiaux de l’œuvre de Stanley Kubrick : l’obsession de la photographie, avec sa symétrie et sa perspective des plans, le travelling arrière, la froideur presque clinique de certaines scènes, l’attention mise sur les visages et les gros plans, et surtout la musique, envoûtante et complémentaire à l’image.

En apercevant le visage blême et l’expression arrogante d’Alex, le personnage principal d’Orange mécanique, dont le regard nous toise agressivement en retour, nous comprenons, nous spectateurs, que rien n’est laissé au hasard. Nous assistons à la présentation du travail d’un orfèvre, minutieux et attentif, assoiffé de perfection.

Il n’est pas facile d’aborder le travail d’un créateur de génie que l’on admire, de l’étudier, de le disséquer et de tenter d’en comprendre les rouages. Même si je peux me laisser aller en toute confiance et profiter du voyage, cela reste un dur labeur, surtout quand il s’agit d’un visionnaire de la trempe de Kubrick, et l’analyse doit être empreinte d’humilité.

La première chose qui frappe dans l’œuvre de Kubrick, c’est la certitude que ce que nous voyons à l’écran a été pensé dans ses moindres détails.

À trop vouloir rationaliser, interpréter et déchiffrer ses films, il y a toujours le danger de ruiner le plaisir que ses histoires nous procurent. Il faut savoir faire la part des choses, sans intellectualiser à outrance. Mon but premier demeure donc le plaisir de partager sa passion pour le ciména, et de donner aux autres le goût de voir ou de revoir ses films. Et en ce qui a trait au travail du cinéaste, il est fortement recommandé de voir ses films plus d’une fois.

La première chose qui frappe dans l’œuvre de Kubrick, c’est la certitude que ce que nous voyons à l’écran a été pensé dans ses moindres détails. On devine le soin maladif, d’une extrême méticulosité, que Kubrick porte à la composition des images qui, une fois assemblées, donnent vie à ses œuvres. Chacune de ces image est la somme d’un nombre infini de détails auxquels le réalisateur accorde toute son attention.

Tant pour l’aspect purement technique – composition du plan, éclairage, cadrage, perspective, mouvement de caméra – que pour celui de l’esthétique ou sens artistique – décors, accessoires, costumes, maquillages, présence et jeu des acteurs, l’importance accordée à ces différents détails varie d’un réalisateur à l’autre, mais pour un créateur tel que Stanley Kubrick, tous ces éléments sont primordiaux. Rien ne doit être laissé au hasard.

Cette méthode de travail fut certainement influencée par les diverses passions du cinéaste, que ce soit la photographie, la musique ou les échecs, qui exigent toutes un niveau de perfectionnement et de réflexion élevé. Recherche d’absolu et souci d’excellence sont les qualités qui distinguent la filmographie d’un grand cinéaste de celle d’un réalisateur de moindre envergure.

‘La qualité primordiale de l’œuvre qui se révèle à nous en visionnant les films de Kubrick est l’intelligence des scénarios et des dialogues.’

Toujours dans le contexte d’un dialogue ou monologue intelligent, plusieurs répliques nous restent en mémoire et ne nous quittent plus. Que ce soit celles complètement loufoques et jubilatoires des divers protagonistes de Dr. Strangelove, ou encore les supplications mécaniques et pourtant touchantes de HAL 9000, l’ordinateur à intelligence artificielle dans 2001, l’Odyssée de l’espace.

La richesse des répliques est bien la preuve de la haute qualité des scénarios et de la profondeur des intrigues, souvent gigognes, compartimentées ou sous forme de puzzle, énigmes où il y a tant à comprendre et à décoder.

Car il n’y a pas une seule vérité, unique et immuable, chez Kubrick, et comme je le mentionnais plus tôt, ses films nécessitent plusieurs visionnements afin de réussir à décrypter les différentes pistes proposées par le cinéaste, et nous permettent de voir l’œuvre d’une manière complètement renouvelée.

Cette complexité nous amène à une réflexion plus poussée qui nous oblige à voir plus loin que le premier degré, à nous questionner. Par exemple, que sont ces monolithes noirs de 2001, l’Odyssée de l’espace ? Une représentation symbolique de l’évolution ? Une forme d’intelligence cosmique qui guide l’humanité depuis l’aube des temps ? Dieu ?

Ou encore, posons-nous la question, y a-t-il vraiment des fantômes qui hantent l’Hôtel Overlook, lieu central de l’intrigue de Shining ? N’assistons-nous pas plutôt à la désagrégation d’une famille dysfonctionnelle, enfermés dans ce lieu clos où chacun se révèle plus ou moins instable ? Les parents et l’enfant ne se contaminent-ils pas les uns les autres, plongeant dans la démence meurtrière ?

‘Cette complexité nous amène à une réflexion plus poussée et nous oblige à voir plus loin, à nous questionner et à chercher des réponses…’

Comme nous pouvons le constater dans ces deux exemples, les interprétations sont multiples, proteiformes, et toutes valables, ou à tout le moins défendables. On reconnaît bien là le joueur d’échecs, les divers mouvements des pièces sur l’échiquier et le nombre infini de combinaisons au cours d’une partie.

Kubrick joue avec son public, l’obligeant à s’investir intellectuellement dans l’intrigue qui se dévoile peu à peu à l’écran. Le spectateur n’a d’autre choix que de s’impliquer, de se remuer les méninges, ce qui est la marque d’un grand film. Nous ne sommes pas en présence d’un simple divertissement, d’un produit de consommation, mais bien d’une œuvre d’art.

Je disais plus haut que je considérais Kubrick comme un visionnaire. Comme pour Eisenstein, Tarkovski, Roeg, Malick et d’autres cinéastes visionnaires, la filmographie de Kubrick est relativement parcimonieuse, treize longs-métrages en près de 50 ans de carrière. Et bien qu’elle soit courte, sa filmographie ne compte pratiquement aucune œuvre que nous pourrions qualifier de mineure.

Peut-être pourrez-vous percer certains mystères, mettre en lumière des détails qui vous avaient échappé et jeter un regard neuf sur les films d’un des plus importants réalisateurs de l’histoire du cinéma. À tout le moins, cela vous donnera certainement le goût de les voir ou revoir.

Images Malcolm McDowell – Orange Mecanique, de Stanley Kubrick Giuseppe Bognanni 
Aures images : slagheapStockPholio.com

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Francis Ouellet a toujours été un amoureux fou du cinéma, de l’animation et de la bande dessinée. Cette obsession de l’image, du mouvement, de l’ombre et de la lumière l’a conduit à faire carrière dans le domaine de la publicité et des communications graphiques. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à travailler, dans ses temps libres sur divers projets d’animation et de bande dessinée.



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