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Huit ans de rires et créativité foraine

Rires sans frontières pour tous au 8ᵉ festival des clowns de Montréal

Par Sophie Jama

Révisé le 6 avril 2025

Le Festival des Clowns de Montréal entre en piste pour sa huitième édition, 8 années à défricher les territoires burlesques d’un art fondamental, longtemps relégué aux coulisses des grandes prouesses. Héritier direct de la parodie acrobatique et des pantomimes pré-shakespeariennes, cet événement réhabilite le clown, figure historique du chapiteau, face aux numéros spectaculaires qui monopolisent les regards.

Au cœur de la tradition circassienne, il puise dans l’ADN du cirque classique – équilibristes maladroits, augustes ivres parodiant les dompteurs – pour célébrer l’art du contrepoint comique. Parades de nez rouges et gags silencieux côtoient des explorations contemporaines, où le « nouveau clown » ose la vulnérabilité brute, loin des canons du rire facile.

Sous le chapiteau éclaté des salles montréalaises, la programmation mêle cabarets endiablés, impros clownesques et numéros familiaux gratuits, incarnant cette dualité : hommage aux clowns blancs d’antan et laboratoire d’un langage corporel sans frontières. Artistes locaux et troupes internationales y réinventent l’éternel dialogue entre le grotesque et le sublime, prouvant que le clown reste l’âme secrète du cirque – ce miroir déformant où l’humanité se reconnaît, entre chutes spectaculaires et grâce de l’échec.

Les clowns ne craignent pas le ridicule. Ils sont tendres et plein d’amour, même dans leurs colères et leurs mauvaises humeurs.

Mécanique du rire

Les clowns sont ces êtres sans masque qui dansent avec le ridicule comme partenaire. Tendresse incarnée, ils distillent l’amour même dans leurs colères théâtrales, transformant les mauvaises humeurs en pirouettes poétiques. Leur rire résonne comme un écho d’enfance prisonnier dans des corps d’adultes maladroits, rois déchus d’un royaume imaginaire où les loques valent or et les taches de vin deviennent broderies précieuses.

Virtuoses du paradoxe, ils cumulent les métiers comme on enfile des perles folles : chanteurs à voix cassée, danseurs désarticulés, conteurs de mensonges vrais. Jongleurs qui laissent choir leurs balles exprès, magiciens ratés révélant leurs trucs, mimes bavards et acrobates patraques – chaque échec est une victoire sur le sérieux du monde.

Leur génie réside dans cette prévisibilité désarmante qui cache une mécanique implacable : chaque faux-pas calculé, chaque grimace millimétrée déclenche un rire complice. Sous les postures de majesté déchue percent les failles qui nous ressemblent – et c’est là leur magie. Ils nous tendent un miroir déformant où nos vulnérabilités deviennent forces, où l’imperfection se mue en grâce. Des adultes-enfants qui dansent sur la corde raide des émotions, faisant de leur humanité cabossée une fête foraine où pleurer et rire ne font qu’un.

Le 8e festival des clowns de Montréal - Amarrable-Foutiyayaa--Jean-Michel-Duclos

Amarrable Foutiyayaa • image : Jean-Michel-Duclos

Ce microcosme de fous raisonnables tire sa force de l’autodérision ritualisée. Leurs numéros, entre prouesses masquées et vulnérabilités assumées, redéfinissent l’héroïsme circassien : non plus domptage de fauves mais apprivoisement de ses propres failles. La salle, transformée en miroir déformant, reconnaît dans ces anti-héros en nez rouge l’écho de ses propres ratages magnifiés. Ultime pied-de-nez : prouver que l’art clownesque, loin d’être accessoire, reste le cœur battant d’un cirque qui ose rire de son essence même.

Gala Cabaret

Pour son Gala Cabaret au Gesù, dix fous sacrés ont pris d’assaut les planches. Un seul régnait en maître de cérémonie, les autres, balais en main, transformaient chaque entracte en numéro burlesque – clowns valets astiquant les reliques du rire entre deux pirouettes. La salle, archicomble, vibrait d’un rire universel où tous partageaient la même transe collective.

René Bazinet, silhouette de dandy circassien en queue-de-pie et haut-de-forme, transcende son rôle de présentateur. Ce funambule vocal mêle chant lyrique et clownerie, conteur né dont chaque mimique déclenche des tempêtes d’hilarité. Sa danse, à la fois mécanique d’horlogerie et envolée poétique, incarne l’esprit même du clown : ce funambule éternel entre grâce et grotesque. Lorsqu’il mime une chapeau-mélopée ou parodie l’opéra en sabots, c’est tout l’art du cirque classique qui ressuscite, teinté d’une modernité espiègle.

‘Tout le monde y a trouvé son compte et les artistes ne manquaient jamais de faire participer la salle, de manière individuelle autant que collective.’

Steve Day, alias Amoeba, incarne l’éphémère magnifié – cet homme-ballons dont la parure fragile crève en symphonie comique. Sa voix, aussi capricieuse qu’un ballon échappé, devient instrument à part entière. Mime virtuose, il déploie sans un mot des épopées silencieuses, transformant un poulailler en odyssée burlesque où chaque battement d’aile se mue en gag chorégraphié.

Céline Jolin, nez rouge vissé comme un hommage aux ivresses créatives, jongle avec les apparences. Ses bouteilles fantômes naissent-elles de la magie ou des mirages partagés ? La table devient laboratoire alchimique où le gin se multiplie en farce métaphysique, défiant jusqu’aux lois de l’équilibre. Son numéro – équation parfaite entre ivresse feinte et sobriété technique – brouille les frontières du réel.

Miriam Heap-Lalonde, accordéoniste des déserts médicaux, compose en mineur une complainte universelle. Chaque note grinçante devient quête absurde : recherche de médecin familial transformée en opéra-bouffe bureaucratique. Son rire en contrepoint, aiguisé comme une lancette, inocule une dose salvatrice de catharsis collective. Le public, reconnaissant ses propres errances administratives, rit aux larmes – exorcisme rythmé par les soufflets d’un instrument complice.

Le 8e festival des clowns de Montréal - Soirée-Impro-Empire-Pagaille--David-Bélanger

Soirée Impro, Empire-Pagaille • image : David-Bélanger

Andrea Conway et Wayne Doba, alias Dik et Mitzi, forment un duo claquettant où le temps s’accélère en valse burlesque. Leurs semelles folles crépitent au rythme d’un vieillissement fantasmé, chaque pirouette défiant les rides imaginaires – métronomes humains transformant l’usure en chorégraphie existentielle.

Isaac Kessler, dit one-man no-show, règne en tyran muet. Son visage de marbre et ses gestes saccadés deviennent une télécommande invisible, pliant le public à ses ordres absurdes. Un imperator clownesque prouvant que le silence peut hurler plus fort que les tambours.

Philibert Hébert-Fillion, alias Pat Ow, super-héros déglingué, cache sous sa cape fripée un génie du contre-emploi. Ses acrobaties bancales, jongleries improbables et chutes calculées transforment l’échec en triomphe – chaque raté devenant un marchepied vers le rire libérateur.

Myriam Sutton, en Katarin’Hair, mène une bataille capillaire épique. Bigoudis rebelles et mèches folles se muent en armes de distraction massive, jusqu’à cette révélation : sa crise trichologique devient remède miracle pour un spectateur dégarni. Comédie capillaire où la perte se transforme en gain collectif.

Shally Julie Messier, Bébé Jasette, incarne l’éternel nourrisson égaré. Ses gazouillis désarticulés et couches-surprises orchestrent une quête parentale inversée : c’est la salle entière qui, par rires complices, devient famille adoptive le temps d’un numéro.

Cette cohorte de saltimbanques déjantés, virtuoses de l’autodérision, électrise la salle sous une pluie de rires et d’ovations. Par leur alchimie burlesque, où l’échec se transmute en grâce et la maladresse en poésie, ils incarnent la quintessence d’un genre trop souvent relégué au rang d’interlude.

Miroir tendu aux vanités humaines, leur spectacle rappelle que le clown reste le souffle vital d’un cirque authentique : celui qui ose rire de ses propres conventions tout en exaltant la beauté du ratage.

Le Festival des Clowns de Montréal

Le Festival des Clowns de Montréal est un événement annuel qui célèbre l’art clownesque dans toute sa diversité. Du 4 au 12 avril 2025, le Festival des Clowns de Montréal se déploie principalement au Théâtre Gesù et dans les quartiers du Plateau, du Mile End et de Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension.

Cette 8ᵉ édition dévoile un spectacle varié : galas aériens où les artistes dansent avec les étoiles, soirées improvisées qui surprennent et enchantent, et discussions passionnées sur l’art clownesque. La soirée de clôture, Le Grand Imbécile, promet une expérience déjantée avec des performances courtes et des surprises inattendues – un véritable tourbillon de rires et de magie.

Image d’entête : OldGod – photo Emelia HellmanButton Sign up to newsletter – WestmountMag.caAutres revues et critiques
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Sophie Jama - WestmountMag.ca

Sophie Jama est titulaire d’un doctorat en anthropologie et d’une maîtrise en littérature comparée. Elle a publié plusieurs ouvrages au Québec et en France. Depuis une quinzaine d’années, elle couvre la scène culturelle montréalaise en matière de théâtre, de danse, de cirque et autres arts vivants.



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