Les milieux humides
du Technoparc menacés
Technoparc Oiseaux appelle à faire pression sur les élus pour protéger cet habitat vital
Par Irwin Rapoport
17 février 2025
Les zones humides et la zone sauvage du Technoparc, situées à Saint-Laurent et Dorval, ne semblent jamais être à l’abri de la menace de destruction, et maintenant Aéroports de Montréal (ADM) a concocté un nouveau plan pour anéantir sa portion de 160 hectares de cet habitat naturel crucial, qui abrite une pléthore de biodiversité et est le meilleur site d’observation d’oiseaux sur l’île.
En faisant défiler Facebook samedi matin dernier, j’ai vu un post du 5 février de TechnoparcOiseaux intitulé Urgence.
J’ai été stupéfait. Le post dit :
Nous sommes abasourdis et dévastés de partager avec vous la nouvelle que nous avons reçu confirmation qu’ADM (Aéroports de Montréal) prévoit de développer non seulement TOUT le Champ des Monarques mais plus de 100 ha dans le secteur, incluant des environnements naturels et humides, affectant la Forêt des Sources et le Marais des Sources. Nous avons confirmation de ces plans dans le mémoire qu’ADM a soumis à la Communauté métropolitaine de Montréal en décembre, ainsi que dans l’aperçu qu’ADM nous a présenté le vendredi 31 janvier 2025.
Nous sommes d’autant plus affligés d’apprendre que ce nouveau Plan directeur, qui ne respecte pas la volonté de plus de 25 municipalités et arrondissements qui se sont prononcés en faveur de la protection du site, incluant la Ville de Montréal, l’Arrondissement de Saint-Laurent et la Ville de Dorval, a déjà été soumis à Transports Canada. Nous comprenons que Transports Canada aura jusqu’au 21 mars pour l’accepter. Nous vous encourageons à appeler vos représentants locaux, provinciaux et fédéraux et à les exhorter à agir rapidement pour protéger le site.
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Avant cette nouvelle menace, le projet d’Hypertec de développer un terrain qu’elle avait acheté pour une nouvelle construction dans la zone écologique sensible était le dernier péril en date. Heureusement, cette situation a été résolue le 16 octobre dernier lorsqu’un accord d’échange de terrains a été conclu avec l’entreprise.
L’article de la Gazette intitulé City Reaches Deal with Hypertec to Preserve Part of Technoparc Wetlands (La ville conclut un accord avec Hypertec pour préserver une partie des zones humides du Technoparc) fournit les détails et le contexte.
Jusque-là, tout allait bien. Le soutien à la création d’un nouveau parc naturel, possiblement un parc national urbain promis par le gouvernement fédéral, prenait de l’ampleur. Montréal a converti ses terrains dans la zone du Technoparc en espace sauvage. Cependant, il reste encore plusieurs lots privés qui risquent d’être développés dans la juridiction de la ville.
Mais maintenant, nous sommes confrontés à un revers potentiellement désastreux si le gouvernement fédéral approuve le plan d’ADM pour la zone qu’il contrôle via un bail de 60 ans du ministère des Transports, propriétaire du terrain.
Voici le communiqué de presse de Technoparc Oiseaux du 5 février.
De son côté, Technoparc Oiseaux a préparé un mémoire de réfutation partagé avec la CMM, la Ville de Dorval, la Ville de Montréal, ECCC et Transports Canada. Le silence face à une telle proposition de destruction écologique serait inexcusable. Technoparc Oiseaux exhorte le gouvernement fédéral à agir immédiatement pour assurer un avenir viable à ces précieux environnements naturels et aux générations futures.
« Protéger ces habitats uniques est une responsabilité collective. ADM peut donner l’exemple en devenant un acteur de premier plan du développement durable et en soutenant, plutôt qu’en entravant, la protection du site. Si elle veut vraiment être reconnue comme une entreprise verte, ADM doit retirer ses plans de développement pendant qu’il est encore temps. » a déclaré Katherine Collin, présidente de l’organisme à but non lucratif Technoparc Oiseaux.
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ADM est bien connue pour son objectif de raser les zones naturelles sous sa juridiction. Cette attitude remonte à plus de 20 ans. Elle a réduit la taille des terrains de golf en leur louant des terres.
Les environnementalistes défendent les zones naturelles restantes par le biais de protestations, de manifestations, de promenades dans la nature auxquelles a participé Elizabeth May, chef du Parti vert du Canada, et de campagnes de pression. May n’était pas seule, car des représentants fédéraux, provinciaux et municipaux ainsi que des candidats de divers partis politiques ont exprimé leur soutien à cet espace naturel.
J’ai assisté à plusieurs événements aux côtés de membres de Les Amis du Parc Meadowbrook qui, avec d’autres groupes environnementaux, réclament la création d’un nouveau parc naturel abritant plus de 200 espèces d’oiseaux. Québec Oiseaux, un groupe parapluie pour les associations ornithologiques à travers le Québec, et Protection des oiseaux du Québec, la plus ancienne organisation caritative de conservation des oiseaux au Canada, ont tous deux publié cette semaine des déclarations appelant à la protection du site.
Il y a seulement deux ou trois ans, début juillet, l’ADM a délibérément fauché des milliers de plants d’asclépiades qui étaient sur le point de libérer leurs graines et, plus horrible encore, qui étaient visités par des papillons monarques de l’Est en voie de disparition qui pondaient leurs œufs pour la génération qui retournerait au Mexique pour répéter le cycle de migration annuel. Il y avait même quelques chenilles qui grignotaient les feuilles pour se préparer à leur transformation en papillons. Les champs contenaient également de nombreuses autres plantes cruciales pour d’autres papillons et insectes, qui servaient aussi d’abri et de source de nourriture pour de nombreux oiseaux et animaux.
Il y a quelques jours à peine, une publication Facebook de MétéoMédia a mis en garde contre un grave déclin du nombre de monarques.
Le gouvernement fédéral pourrait intervenir directement et déclarer ces terres comme zones naturelles protégées – une action qu’il n’a pas prise jusqu’à présent pour une raison incompréhensible. Lors de la fête du Canada il y a quelques années, au parc Strathearn à Montréal-Ouest, un ami et moi avons parlé avec Marc Garneau, alors député de Westmount-NDG et ministre des Transports, le suppliant d’utiliser rapidement son autorité ministérielle pour protéger ces terres. Notre message n’a pas eu le moindre impact.
L’ADM affirme maintenant que le développement de ces zones favorise la sécurité des passagers, en mettant l’accent sur la menace des collisions aviaires à l’aéroport Trudeau. « Il est inconcevable de demander à une autorité aéroportuaire d’attribuer un usage de parc naturel à un terrain aussi vaste situé si près de l’aérodrome et des pistes, car cela augmenterait la présence de la faune sur le site », a déclaré ADM.
ADM a cité l’accident de Jeju Air en Corée du Sud le 29 décembre qui a fait 179 morts. Une enquête sur l’accident a confirmé que des collisions aviaires ont joué un rôle dans le crash du Boeing 737-800.
Katherine Collin qualifie cela de tactique de peur. « Nous n’acceptons pas cet argument. Ce n’est pas que nous ne croyons pas que la sécurité des passagers soit une priorité ou une préoccupation. Nous pensons qu’ADM exagère les dangers posés par les populations d’oiseaux ici », a-t-elle déclaré.
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Mme Collin a répondu à quelques questions concernant cette menace.
WM : Vous avez exprimé votre scepticisme concernant l’argument de la sécurité des passagers. Pouvez-vous développer et comment expliquez-vous l’attitude générale de l’ADM quant à sa volonté de détruire les zones naturelles sous sa juridiction ?
Collin : Les espaces naturels à proximité de l’aéroport existent depuis des décennies sans aucun problème, et lorsque nous examinons les propres statistiques de l’aéroport, nous constatons que le risque lié à la faune n’augmente absolument pas. De plus, l’aéroport a soutenu la conservation des oiseaux dans le secteur, donc leur argument semble au mieux déroutant. Nous avons déjà entendu cet argument, notamment lorsque l’ADM a soutenu le développement industriel des Champs des Monarques en 2021. Nous nous demandons en outre si l’ADM ne fait pas fi de la volonté publique dans sa décision d’aller de l’avant avec un développement de type bulldozer. Les faits sont clairs : le site est extrêmement important pour les services écosystémiques et la biodiversité sur l’île de Montréal (et plus largement au sein de la CMM) ; et il existe un large soutien public pour la conservation du site, du gouvernement fédéral aux gouvernements provincial, régional et municipal, en passant par le Conseil mohawk de Kahnawake, ainsi que 25 arrondissements et villes qui ont signé à l’unanimité pour soutenir la protection du site. Ce que l’ADM propose va clairement à l’encontre de cette volonté publique.
Quant à la deuxième partie de la question, nous ne pouvons pas vraiment comprendre l’approche de l’ADM car elle contredit le principe de précaution en matière de conservation et va à l’encontre de l’image d’une entreprise “verte” : nous savons que ce qu’ils proposent va être dévastateur pour la biodiversité et les services rendus par la nature aux habitants de l’île de Montréal (atténuation des risques d’inondation, purification de l’air/eau, accès à la nature urbaine). Nous savons également que les initiatives de décarbonation, la supposée justification pour le développement du Lot 20, ne nécessitent pas de construire sur des terres écologiquement sensibles. Cet argument tombe donc à plat également. Nous ne pouvons donc pas vraiment comprendre la position de l’ADM ou ses justifications pour le développement proposé.
WM : Y a-t-il un espoir que le gouvernement fédéral désigne les zones humides et sauvages du Technoparc comme parc urbain national ?
Collin : Nous avons toujours dit que nous voulons voir l’ensemble du site protégé à perpétuité ; que cela prenne la forme d’un parc urbain national officiel ou d’une modification du bail d’ADM pour garantir que cet espace de 160 ha de terres fédérales soit réservé en permanence à la conservation et ne soit plus sous le contrôle direct de l’aéroport, est moins important que d’obtenir une action de conservation pour l’ensemble du site, et ce rapidement. Il y a une réelle urgence ici. ADM n’a pas caché ses intentions de développer le site et Transports Canada a jusqu’au 21 mars pour donner son accord. Ne nous y trompons pas : si ADM était un bon citoyen corporatif, il s’engagerait sérieusement dans les ouvertures du gouvernement fédéral et soutiendrait la conservation des quatre lots (3, 4, 5 et 20), ce que nous comprenons qu’il ne fait pas.
WM : Pourquoi est-il si important que ce joyau écologique soit protégé ?
Collin : Protéger ce joyau écologique est évidemment important pour la biodiversité, mais aussi pour nous en tant qu’êtres humains. Il ne nous reste pas beaucoup de ces espaces naturels urbains sur l’île de Montréal et même dans le sud du Québec. Le site est internationalement connu pour sa biodiversité et des gens sont venus du monde entier pour l’apprécier. Et les scientifiques et les urbanistes s’accordent largement sur le fait que le site mérite d’être protégé : Habitat, WWF-Canada, la Fondation David Suzuki, Biodiversité Conseil, la Ville de Montréal, la Ville de Dorval et la CMM montrent clairement que le site est reconnu comme ayant une haute priorité pour la conservation.
Si ADM veut vraiment être un bon voisin sur l’île de Montréal et un bon citoyen corporatif, il écoutera les milliers de voix qui soutiennent la protection du site, cédera ces terres à la conservation et s’étendra ailleurs. Il existe des solutions à leur disposition immédiate qui offriraient une situation gagnant-gagnant pour tout le monde. Il est impossible de penser que l’ADM, avec un bail conclu en 1992 pour 80 ans, puisse dicter l’avenir de l’île de Montréal en des temps aussi urgents que ceux-ci.
Documents de référence
Aéroports de Montréal. (2024, 16 décembre) – Consultation publique sur le projet de PMAD : Mémoire présenté par ADM Aéroports de Montréal – p. 20
Technoparc Oiseaux. (2025, 2 février) – L’urgence de protéger les milieux naturels du Technoparc et des terres fédérales adjacentes – Mémoire soumis à la Communauté métropolitaine de Montréal, à la Ville de Montréal, à la Cité de Dorval, à Environnement et Changement Climatique Canada, et à Transports Canada – p. 34
Note : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête : Râle de Virginie et poussin duveteux, par Ilana Block
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Irwin Rapoport, journaliste indépendant, a obtenu une maîtrise en histoire et en sciences politiques à l’Université Concordia.
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