Perdu dans un blizzard
d’indifférence humaine
La science peut identifier et corriger un problème mais ne peut pas déterminer ce qui est bien ou mal
Par Georges Dupras et Irwin Rapoport
26 octobre 2024
Un récent article de l’Associated Press a révélé un incident troublant en Islande : l’abattage d’un jeune ours polaire le 19 septembre 2024. Une jeune ourse d’environ deux ans, pesant entre 150 et 200 kg, a été repérée près d’un chalet dans un village isolé du nord-ouest de l’Islande. Les autorités, après consultation de l’Agence pour l’environnement, ont décidé de l’abattre, la considérant comme une menace potentielle pour les habitants.
Bien que les ours polaires ne soient pas natifs d’Islande, leur espèce ne peut se permettre de perdre un seul individu en raison d’interactions humaines, et le coût du retour de l’ours dans son habitat d’origine dépasse largement celui de le sauver. Si le problème n’avait été qu’une question de relocalisation, des fonds auraient pu être levés pour couvrir l’opération, mais le fait que des responsables environnementaux aient défendu cette mise à mort est scandaleux.
Bien que la sécurité publique soit une préoccupation légitime, la décision prise rapidement d’abattre un animal sans explorer d’autres options est préoccupante.
Chaque individu compte pour la survie à long terme de l’espèce, et c’est déjà assez préoccupant que des chasseurs de trophées abattent des ours polaires. Il n’y a également aucune excuse pour tuer des ours bruns, des ours noirs, des pumas, des lions, des léopards, des guépards, des éléphants, des rhinocéros, des primates et d’autres espèces ciblées par ces chasseurs. Cet incident soulève des questions cruciales sur notre approche de la conservation des espèces menacées.
Bien que la sécurité publique soit une préoccupation légitime, la décision prise rapidement d’abattre un animal sans explorer d’autres options est préoccupante. La conservation nécessite souvent des efforts et des investissements importants. Une approche plus proactive et collaborative entre les pays concernés pourrait être bénéfique pour gérer ces situations rares mais prévisibles. Il est essentiel de réévaluer nos politiques de gestion de la faune sauvage afin d’assurer un meilleur équilibre entre la sécurité humaine et la préservation des espèces menacées.
La biodiversité mondiale fait face à une crise sans précédent. Les espèces terrestres, marines et aériennes subissent des déclins alarmants, principalement dus à la destruction des habitats, au braconnage et à la chasse excessive. L’ampleur des pertes passées et actuelles est profondément préoccupante.
‘La biodiversité mondiale fait face à une crise sans précédent. Les espèces terrestres, marines et aériennes subissent des déclins alarmants.’
Le braconnage reste une menace majeure, comme l’illustre un incident récent à Madagascar où les autorités ont intercepté un trafiquant tentant d’exporter illégalement plus de 60 tortues d’une espèce rare. Actuellement, les perroquets d’Amérique latine, d’Afrique et d’Australie sont particulièrement ciblés, avec de nombreux spécimens mourant pendant le transport. En Asie et en Afrique, le braconnage intensif des pangolins menace l’espèce d’extinctions locales imminentes si des actions urgentes ne sont pas entreprises.
Cette attaque contre la biodiversité a des conséquences dévastatrices sur les écosystèmes et nécessite une réponse immédiate et vigoureuse. Des mesures drastiques doivent être mises en place pour enrayer ce phénomène et protéger efficacement la faune mondiale. C’est pourquoi j’ai contacté Georges afin qu’il poursuive l’analyse de cette problématique cruciale.
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Pendant mon enfance, l’ours polaire (classé comme mammifère marin) était souvent désigné comme “l’Icône du Nord”. Aucun animal ne pouvait égaler sa silhouette impressionnante, ni sa capacité incroyable à nager pendant des jours à la recherche de nourriture. Aujourd’hui, ce magnifique symbole du Grand Nord libre est classé comme “vulnérable” par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Les ours polaires vivent au Canada, aux États-Unis, au Groenland, en Russie et en Norvège, et peuvent être trouvés jusqu’en Islande. Initialement, les biologistes craignaient peu pour le “Grand ours blanc” car son habitat était hostile aux humains et les rares chasseurs qui s’y aventuraient affrontaient un climat arctique impitoyable. De plus, il y avait peu ou pas de développement sur les vastes territoires des ours.
La chasse était, pour l’essentiel, pratiquée par les peuples autochtones à des fins de subsistance. Lorsque je travaillais pour la Compagnie de la Baie d’Hudson du Canada, on m’avait dit qu’un pourcentage de l’argent gagné grâce à l’abattage d’un ours polaire était reversé aux communautés autochtones. Aujourd’hui, ce magnifique symbole du Grand Nord libre est classé comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
‘Aujourd’hui, ce magnifique symbole du Grand Nord libre est classé comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).’
Le grand ours blanc se retrouve en compagnie de cinq autres cousins charismatiques, notamment le lion, le léopard, le rhinocéros, l’éléphant et le buffle d’eau. Au-delà d’être la principale attraction touristique de leurs pays ou continent respectifs, ces espèces ont beaucoup en commun, y compris la perte ou la fragmentation des habitats. C’est un problème mondial accéléré par le besoin d’approvisionnement de la pharmacologie asiatique, la corruption politique, le braconnage, la chasse aux trophées et le commerce illégal d’espèces sauvages en parties et/ou dérivés.
Problèmes climatiques
Ccontrairement aux espèces africaines, l’ours polaire se trouve en première ligne du réchauffement climatique. Cette réalité scientifique a été ridiculisée par ceux qui affirmaient que le réchauffement climatique n’avait aucun fondement et n’était que les divagations de hippies vieillissants. Beaucoup d’individus provenant de ces sous-cultures portent maintenant les bannières du changement climatique.
Estimations du décompte de population
Obtenir un décompte précis de la population d’ours polaires est difficile en raison des ressources limitées et de l’éloignement de certaines tanières – il n’est souvent pas toujours possible de localiser une tanière ou d’accéder à la zone. En raison de ces restrictions, il a parfois été nécessaire d’en estimer le nombre en enregistrant le décompte d’animaux dans chaque tanière accessible, puis en ajustant la moyenne en tenant compte des tanières qui n’ont pas pu être accédées. Bien que temporaires et non scientifiques, les décomptes forment toutefois une supposition raisonnable.
‘À mesure que la glace fond, les ours doivent nager plus loin pour atteindre leur proie favorite, le phoque gris.’
La mer de Béring
La mer de Béring, située au nord-est des États-Unis et du Canada, accroît la menace à laquelle font face les ours polaires. À mesure que la glace fond, les ours doivent nager plus loin pour atteindre leur proie favorite, le phoque annelé. Ce faisant, ils dépensent trois points d’énergie pour n’en récupérer qu’un seul. Il n’est pas nécessaire d’être un génie en mathématiques ou un biologiste marin pour comprendre les effets d’un tel rendement négatif.
Bien que certains habitants des colonies nordiques signalent plus d’ours polaires errant dans leurs villes et villages, cela est probablement davantage le résultat d’une compression de territoire. Cela se produit lorsque moins d’ours cherchent des opportunités de chasse sur la glace située à des kilomètres, laissant plus d’ours en compétition pour la nourriture laissée sans surveillance dans les colonies.
Au fil des saisons, les calottes glaciaires continueront de reculer et les voies maritimes s’ouvriront, permettant aux navires militaires, aux pétroliers, aux baleines grises du Nord et aux orques d’accéder à l’Arctique. Cela signifiera plus de compétition pour moins de nourriture. L’ours polaire est un chasseur solitaire tandis que l’orque chasse en groupe. Où cela laisse-t-il l’ours polaire ? L’emblématique ours des glaces deviendra-t-il la proie de l’orque ?
Abattre les ours
Étant donné que c’est nous qui avons envahi leur habitat, il est faux de dire que l’ours est nuisible à l’humain. À ma connaissance, bien que des répulsifs à ours aient été développés contre les ours noirs, aucune application similaire n’existe pour les ours polaires. Tout ce qui les attire, tels que les ordures, les bacs de compostage, les barbecues non nettoyés et autres substances alimentaires, doit être éliminé des zones d’habitation.
‘Étant donné que c’est nous qui avons envahi leur habitat, il est faux de dire que l’ours est nuisible à l’humain. Tout ce qui les attire doit être éliminé des zones d’habitation.’
Épitaphe
L’épitaphe de l’homme reflétera un être impitoyable, avide, égoïste, hypocrite et narcissique. Cela pourrait être compensé par des traits de compassion, de bienveillance, d’empathie, d’amour et d’anthropomorphisme, mais notre fascination pour la violence et notre capacité sans fin à rationaliser notre intérêt, et peut-être, plus précisément, notre peur de l’inconnu, altèrent notre objectivité.
Image d’entête : Ours polaire affamé, par Andreas Weith, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
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Georges R. Dupras, Georges R. Dupras se fait le champion et le défenseur des animaux depuis plus de 50 ans. Il est membre de l’International Association for Bear Research and Management (IBA) et un ancien directeur de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (CSPCA). En 1966, il s’est impliqué dans la campagne initiale pour sauver les phoques qui a mené à la fondation de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW) en 1969. Il a publié deux livres : Values in Conflict et Ethics, A Human Condition. Georges demeure à Montréal, Québec, Canada.
Irwin Rapoport, journaliste indépendant, a obtenu une maîtrise en histoire et en sciences politiques à l’Université Concordia.
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